Lettre ouverte au président Alpha Condé : ‘’il faut savoir partir !’’

Monsieur, le président, j’ai précisément 25 ans aujourd’hui. Je vous parle en tant que gouverné, plus exactement en tant que citoyen préoccupé de ce pays.

M. le président, on rêve beau, on rêve grand et on rêve fort pour le bien de son pays. Il y a 25 ans, vous étiez en pleine tourmente politique, vous rêviez grand, vous rêviez fort pour ce même pays. Dieu le Tout Puissant a réalisé ce rêve en vous mettant à la tête de ce pays et de la plus belle des manières : démocratiquement.

J’avais prévu une liste de doléances M. le président, mais maintenant que j’imagine en train de vous parler directement en face, je doute de sa pertinence. C’est pourquoi, je souhaite improviser tout en espérant être compris. Pardonnez mon ignorance M. le président, mais je pense que quand on a traversé des épreuves comme vous, la flatterie n’a aucune prise, je dirai donc ce que je pense.

Il faut savoir partir !

M. le président, je sais que vous vous battez chaque jour pour que nous ayons un avenir meilleur. Certains diront toujours le contraire même si vous changez entièrement ce que vous faites pour leur faire plaisir. Ils auront toujours une bonne raison de vous critiquer. Ce qui est tout à fait normal car on occupe cette fonction, la reconnaissance est un luxe assez rare.

Je ne rentre pas dans le débat interminable de la légitimité ou non de la constitution du 7 mai 2010 qui vous autorise à la réviser ou non.

De mon point de vue, vous avez tout à fait le droit de proposer une nouvelle constitution au peuple de Guinée. Cette proposition aura pour fondement non pas l’article 152 de notre constitution comme le prétendent certains, mais le pouvoir constituant originaire lequel tire sa légitimité du peuple qui vous a délégué celle-ci pour un temps bien défini.

La constitution est-elle un livre comme un autre ?

Il y a un livre dans notre pays qu’on appelle la constitution, c’est le troisième livre le plus important en Guinée après le Coran et la Bible.

Quand on a écrit cette constitution, on a fait ce qu’on appelle la deuxième révolution. Pendant la première, on a lutté pour expulser l’homme blanc. On a gagné cette révolution et le peuple a choisi un des nôtres comme leader qui nous a proposé ce livre à cinq reprises depuis 1958 dont seul le peuple souverain, doit écrire ou approuver le contenu.

À cinq reprises, on a demandé au peuple : « Dites-nous pendant combien d’années un président devrait maintenir son poste, dites-nous quels sont les pouvoirs qu’il devrait exercer, dites-nous comment il devrait être destitué ».

Après des années d’efforts pour instaurer la démocratie auquel vous avez activement participé, nous voilà à un an de la fin de votre second et dernier mandat en tant que président de la République.

Il y a neuf ans, M. le président, les guinéens ont fait le choix historique d’accorder leur confiance à un candidat ouvertement démocratique parce qu’ils en avaient désormais et pour la première fois le choix entre plusieurs idées. Par ce choix, le peuple a exprimé ce qu’il voulait ou plus exactement ce qu’il ne voulait plus : la dictature d’une élite. S’il y a bien un enseignement à tirer de votre victoire en 2010, c’est que les guinéens étaient en demande d’authenticité et vous l’incarniez aux yeux de la majorité d’entre eux.

Notre pays est-il condamné à la présidence à vie ?

De Conté à Dadis Camara en passant par Konaté, notre pays a traversé des régimes d’exception lié en grande partie au décès des présidents en exercice. C’est justement un des héritages de notre Histoire qu’il faut interroger avec minutie.

M. le président, ce qui me fait peur, c’est le nombre de jours qui nous sépare de l’année de mars-avril 1984, de juillet 1985, de décembre 2008, de l’année qui nous sépare et à point nommé du 21 décembre 2010, jour de votre élection à la tête de ce pays. J’avais à peine seize ans quand le peuple vous a choisi à sa tête et tout ce que je voyais c’est l’enthousiasme de cette nation qui aspirait à un changement.

Souvenez-vous M. le Président, la constitution que vos partisans ou plutôt vos « empereurs aux petits pieds » délégitiment depuis quelques mois, est celle qui a fait de vous un président légitime et le premier par ailleurs à être élu démocratiquement dans notre pays. Vous avez prêté serment à deux reprises sur cette même constitution (article 35) : « moi président de la république, élu conformément aux lois, je jure devant le peuple de Guinée et sur mon honneur, de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la constitution, des lois et des décisions de justices, de défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale. En cas de parjure, que je subisse la rigueur de la loi. » Ces serments sont donc alors de vains mots, parce que prononcés sur une constitution « illégitime »? Difficile d’y croire quand on sait combien de fois vous maitrisez ce domaine.

Mais comme le disait l’autre fois votre actuel Premier Ministre : « La France est notre source de référence en droit, en comportement ». Une affirmation que je ne partage pas du tout sur le fond. Je n’ai pas le temps ici d’accorder au sujet sa place qu’il mériterait. Je pourrai en parler des heures.

Cette France depuis la révolution de 1789 a connu outre deux empires et une restauration, cinq républiques.

Ce que je veux dire par là M. le président, c’est qu’à chaque changement de constitution en France – donc de régime politique – cela s’est passée à la suite d’une crise majeure. La première République est née à la suite de la révolution de 1789, la deuxième de 1848, après le renversement du roi Louis Philippe Premier, la troisième, suite à une défaite militaire majeure en 1870 à Sedan, la quatrième, consécutive au début de la seconde guerre mondiale et la cinquième, aux événements d’Algérie. D’où ma question M. le Président : Qu’est-ce qui justifie le changement de constitution actuellement dans notre pays ? Sommes-nous en guerre ? Y a-t-il une crise qui justifie un tel changement de régime? La réponse ne peut être que négative quand on sait ce que vous avez fait pour instaurer justement cette quiétude sociale tant chère à vos yeux.

M. le président, pour être sincère avec vous, c’est le temps d’un monde finissant qui commence. Un monde dans lequel la et le politique marchaient jusque-là en sens inverse. La politique n’est pas un métier, mais un service, un service qu’on rend à un grand nombre de gens parfois pauvres, très pauvres.

Si la politique consiste justement à faire ce qui est populaire, on ne peut pas gérer un pays à partir d’un leader. Notre pays n’est pas le privilège d’une élite encore moins d’une minorité.

M. le président, quand on demande à la majorité des Guinéens de dire concrètement d’où vient le pouvoir? Elle ne sait pas. Dès lors, le peuple est-il prêt à être librement consulté dans un pays à majorité analphabète? Le peuple est-il prêt à être librement consulté dans un pays à forte tension ethnique comme le nôtre ?

Le peuple est-il en mesure d’attendre une constitution sans effusion de sang ? Quand on sait qu’historiquement, les revendications populaires se sont toujours terminées en bain de sang dans notre pays.

Ça ne vous dérange pas M. le président d’être à la fois l’ancien et le nouveau président de la Guinée après votre second et dernier mandat ? Voilà entre autres questions qui nécessitent une réponse de votre part.

Je vous donne peut-être l’impression de savoir ce qu’il faut faire M. le président. Alors que je n’en ai même pas la moindre idée. Par contre, je sais qu’en Allemagne on n’a pas besoin d’autre mur, au japon d’autre bombe atomique, au Rwanda d’autre génocide, au Liberia et en Sierra Leone d’autre guerre civile et en Guinée d’autres vies perdues d’innocents.

Personnellement, je souhaiterai que les fondations que vous allez nous léguer soient remerciées par une continuité.

Dans ce contexte M. le président, la réponse n’est pas la démocratie autoritaire mais l’autorité de la démocratie. Notre devoir à tous est de faire vivre cette démocratie guinéenne, au fond si jeune.

Je termine en vous citant Churchill qui disait : « la différence entre un Homme politique et un Homme d’État, c’est que le premier ne pense qu’aux prochaines élections alors que le second ne pense qu’aux prochaines générations. » pensez aux prochaines générations que nous sommes. Vous avez une chance historique M. Le président, saisissez-la et partez en tant qu’homme d’État; l’histoire vous le reconnaîtra.

Mamady DIOUBATE
Etudiant guinéen à l’étranger