Gestion de la Fièvre hémorragique – Pourquoi la désinvolture de l’Etat? (1ère partie)

En Janvier 2014, l’épidémie de la fièvre Ebola venait s’ajouter à une série de malheurs qui éprouvent le pays depuis une décennie. A cause d’un retard de trois mois dans le dépistage de la maladie et la mise en place de mesures de prévention, le virus Ebola s’est propagé et est arrivé même à traverser la frontière avec les pays voisins…

Du coup, la Guinée déjà tristement célèbre en termes de violence politique, corruption et pauvreté, a fait la une de la presse mondiale en tant qu’épicentre d’une maladie extrêmement dangereuse qui risque de contaminer le globe. Le fléau a relégué le pays à l’état de lépreux dont tout le monde a peur de s’approcher. Les pays voisins qui n’avaient pas barricadé leurs frontières en ont pris un grand coup. Selon l’OMS, au 23 juillet 2014, le nombre cumulé de cas attribués à la maladie à virus Ebola dans les 3 pays atteignait 1201, dont 672 décès. La répartition et la classification des cas sont les suivantes : Guinée, 427 cas (311 confirmés, 99 probables et 17 suspects) et 319 décès (208 confirmés, 99 probables et 12 suspects); Libéria, 249 cas (84 confirmés, 84 probables et 81 suspects) et 129 décès (60 confirmés, 50 probables et 19 suspects); et Sierra Leone, 525 cas (419 confirmés, 56 probables et 50 suspects) et 224 décès (188 confirmés, 33 probables et 3 suspects).

 

 

 

La désinvolture et le mensonge d’Etat comme stratégie de prévention

 

Malgré la présence d’une équipe technique assez efficace et compétente sous la direction du Docteur Sakoba Kéita, directeur du département de la prévention et lutte contre les maladies au ministère de la Santé, le pouvoir politique avait opté de relativiser le fleau pour, dit-on, « ne pas faire paniquer les investisseurs ». Peu après la reconnaissance officielle du fléau Ebola en Mars 2014, le Ministre des Affaires Etrangères, Louceyni Fall, lors d’une visite qu’il effectuait en Afrique du Sud déclarait à la presse le 4 Avril 2014, à l’issue d’une rencontre avec son homologue sud-africain: « Nous sommes heureux de dire que nous avons contrôlé la propagation de l’épidémie ». M. Fall se vantait même de porter à la connaissance du monde que la Guinée avait « réussi à guérir quelques-uns de malades atteints ».

 

La communication officielle tentait partout de rassurer, à tel point qu’on faisait croire que ceux qui avaient échappé par pure chance à la trappe mortelle de la maladie étaient une preuve que la maladie était guérissable. Il faut mettre l’accent sur le positif, il faut soigner les statistiques, Médecins Sans Frontières (MSF) fait trop de bruits sur la maladie, il faut qu’ils se calment car il ne faut surtout pas effrayer les investisseurs entendait-on dire. Le même jour du 4 Avril 2014, les habitants de Macenta, profitant du différend entre MSF et le gouvernement sur la portée du fléau, avaient saccagé les locaux de MSF et s’étaient attaqué aux agents de santé, les accusant d’avoir transporté le virus Ebola en Guinée. La police avait dû intervenir pour disperser les manifestants.

 

Le lendemain, 5 Avril 2014, Nantou Cherif, coordinatrice du parti RPG Arc-en-ciel montait au créneau pour fustiger ce qu’elle appelait « la propagande sur la maladie de la fièvre Ebola » qu’elle attribue aux « mauvais Guinéens » proches de l’opposition. Elle déclarait en substance: « Je voudrais parler de la fièvre hémorragique à virus Ebola. Mais nous avons tous été bien édifiés par le ministre de la jeunesse et de l’emploi jeunes, Moustapha Naïté. La propagande qui existe autour de cette fièvre hémorragique à virus Ebola est que ce sont des Guinéens eux-mêmes qui en écrivent et qui en parlent dans les médias que ça ne va pas chez nous. Si vous les écoutez à l’extérieur ce qu’ils disent dans les médias, vous allez dire que nous allons tous mourir aujourd’hui…Il y’a quelques heures, la population de Macenta tellement fâchée a chassé les agents de Médecins Sans Frontière (MSF) en leur disant de les lasser avec leur fièvre hémorragique Ebola. C’est extrêmement grave, il faut qu’on envoie une mission dans cette ville pour informer la population sur la fièvre hémorragique Ebola. Car, les gens de la Forêt se sentent seuls avec cette maladie. Tout cela, parce qu’on dit n’importe quoi dans les médias…Je demande aux cadres de l’administration guinéenne de venir dans les médias et donner les informations. Car il y a eu une désinformation de la part de l’opposition guinéenne. Il faut que nos cadres se réveillent pour aller expliquer ce qui se passe réellement sur le plan économique, social et politique pour porter la contradiction à nos détracteurs qui font l’objet de désinformation à l’extérieur du pays. On se demande par ailleurs si ce sont des bons guinéens. Car on ne peut pas faire une propagande au tour d’un drame national.» Il serait intéressant de savoir si elle croit toujours que l’épidémie est le fruit d’une propagande de l’opposition.

 

Dans une déclaration en date du 10 Mai 2014, le Chef de l’Etat allait plus loin et essayait de banaliser la maladie. Il explique : «Je précise que la fièvre Ebola a commencé en janvier en Guinée. C’est quelqu’un qui l’a eu à Guéckédou. Le docteur qui l’a soigné est tombé malade, il a été à Macenta pour se faire consulter par son homologue qui est aussi tombé malade et ils sont tous décédés. Comme nous sommes des croyants, quand quelqu’un meurt, il faut qu’on fasse ses toilettes. Mais, il a fallu que deux médecins trouvent la mort pour qu’on se pose la question et il a fallu prendre les prélèvements pour envoyer à Dakar. C’est ça qui a fait qu’Ebola s’est répandu. Si on avait su tôt, il n’irait pas loin. Il sera arrêté à trois ou quatre personnes. » Il prodigue aussi des conseils rassurants aux citoyens : « Si quelqu’un est atteint par Ebola, si tu le touches, tu ne peux pas être infecté. Qu’est-ce qu’on fait, on n’isole pas d’abord le malade d’Ebola, tous les jours on prend sa température. Tant que sa température ne monte pas, cela ne veut rien dire. Mais, quand sa température monte, on peut l’isoler et cela ne veut pas dire aussi qu’il est malade mais plutôt il peut tomber malade. Si au cours de 21 jours, il ne tombe pas malade, il est guéri, c’est ça la vérité, au lieu de nous dire qu’il ne faut pas manger de poisson ou de ceci ou de cela. »

 

Pour le Chef de l’Etat, le problème c’est le « mythe » fait autour de la fièvre Ebola: « On a fait tout un mythe autour de cette maladie, mais le palu tue mille fois plus de personnes qu’Ebola ainsi que la méningite. Depuis qu’Ebola a commencé en Afrique, il n’y a eu que 1700 morts » déclare-t-il. Il accuse aussi MSF qui de faire la propagande autour de la maladie: « ils ne nous ont pas aidés, ils ont fait des communications pour qu’ils aient assez d’argent. Nous avons eu beaucoup de partenaires qui nous ont aidés. J’ai écrit à François Hollande pour que l’institut Pasteur retourne en Guinée. » Pourtant le virus resurgit aussitôt que le gouvernement le déclare sous contrôle. Dans la préfecture de Télimélé, plusieurs cas suspects et trois cas de décès furent enregistrés. Des cas sont également signalés à Boffa et à Dubréka, alors que Macenta connaissait une résurgence du virus.

 

Le 9 Juin 2014, le Chef d’Etat se rendait à Kissidougou pour lancer les travaux de la route Kissidougou-Guékédou. Il declarait lors de son passage: « Nous n’avons pas peur d’Ebola. C’est pourquoi nous allons à Guékédou serrer les mains des gens. » Le Chef de l’Etat devient le plus ardent défenseur de la banalisation irresponsable de la maladie. Les cadres techniques de la santé sont sommés d’être rassurants dans leur briefing à la presse. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est sommée de cesser de produire des chiffres alarmants et MSF est vouée aux gémonies. Le gouvernement exige des chiffres plus proches de la réalité, celle voulue par le régime, et demande un toilettage des statistiques aux services de MSF. Docteur Sakoba Kéita, directeur du département de la prévention et lutte contre les maladies au ministère de la Santé est obligé de calmer ses ardeurs professionnelles. Il est obligé de déclarer «qu’il n’y a pas d’évolution de l’épidémie sur le terrain » à chaque ralentissement de l’épidémie.
Le 20 juin 2014, se tenait la réunion des Ministres de la Santé de l’Union du Fleuve Mano. Le Chef d’Etat remercie ses visiteurs d’être venus « malgré tout le bruit fait autour de l’Ebola ». Quelques jours plus tôt, il avait réitéré que l’épidémie était sous contrôle.

 

Le 23 juin 2014, MSF par la voix de son directeur des opérations, Dr. Bart Janssens, déclare à Bruxelles que « l’épidémie est hors de contrôle » avec 60 foyers identifies en Guinée, Sierra Leone et Libéria, et encourage les autorités de ces pays á « déployer des efforts à la hauteur de l’ampleur de cette épidémie, mettre à disposition du personnel médical qualifié, organiser des formations à la prise en charge de l’Ebola et intensifier le suivi des contacts et la sensibilisation auprès des populations ». Alpha Condé, qui n’est pas content de cette sortie fracassante qui contredit les assertions de l’Etat guinéen selon lesquelles « la situation est bien maîtrisée » qualifie les affirmations de MSF de « bruits ». La polémique entre les spécialistes de la santé et le pouvoir politique est telle que l’OMS convoque les 2 et 3 juillet à Accra, au Ghana, une réunion d’urgence des ministres de la santé de onze pays ouest-africains concernés.

 

Le 30 juin le Chef d’Etat profite d’un de ses nombreux déplacements pour passer au siège de l’OMS à Genève où, dans sa désinvolture habituelle, il réitère que tout va bien : « Pour le moment, la situation est bien maîtrisée et nous touchons du bois pour qu’il n’y ait pas de nouveaux cas» alors que l’épidémie avait fait plus de 100 morts. Toujours remonté contre MSF, il menace d’auditer l’’organisation comme il le fait avec les politiciens qui s’opposent à lui. Il promet de « demander des comptes » à l’organisation » car il estimait que « tout n’est pas parfait dans leur comportement ».

 

Le mensonge d’Etat destiné à protéger l’agenda politico-affairiste du chef de l’Etat, même au risque de quelques vies humaines, était tel que les cadres du Ministère de la Santé avaient décidé de sortir de leur devoir de réserve pour faire des déclarations anonymes à la presse internationale dans le but de faire part de leur inquiétude et de dénoncer les paroles faussement rassurantes du Chef de l’Etat sur une prétendue «mise sous contrôle » d’Ebola. Ce qui contribue à baisser la vigilance, facilitant ainsi la résurgence du virus et sa propagation en Guinée et hors du pays. La presse internationale avait largement fait l’écho des déclarations de médecins de l’Hôpital Donka, le plus grand centre hospitalier du pays. Parlant du gouvernement, un médecin qui a gardé l’anonymat aurait déclaré : « Ils ont tellement menti, Ebola est sous contrôle, Ebola c’est fini, Ebola c’est du passé. » Un autre médecin de Donka du nom de Kankou Marah avait essayé de relativiser l’attitude du gouvernement : « nous savons tous aujourd’hui que le gouvernement a le souci de préserver ses intérêts et éviter de dire la vérité à la population au risque de chasser les investisseurs ». Cette attitude expliquerait le blackout sur l’épidémie en Guinée. Les campagnes d’information à la radio, à la télévision, et dans les rues sont arrêtées, et personne ne parle des informations alarmantes en boucle de la presse internationale sur la gestion de l’épidémie en Guinée. Les affaires de milliards doivent se régler d’abord avant d’organiser la riposte.

 

La santé, dernier souci des gouvernants

 

La Guinée possède les services de santé les plus dégradés de la sous-région. Chaque année des milliers de citoyens meurent de maladies préventables et doivent aller dans les pays voisins pour se soigner, Les taux de mortalité infantile et maternelle du pays sont parmi les plus élevés en Afrique. A part les annonces électoralistes de la gratuité des césariennes et des premiers soins pour les nouveaux nés, la sante n’est pas une priorité du gouvernement. Le pays se caractérise par une faible couverture géographique sanitaire due à l’insuffisance des infrastructures et des équipements et au délabrement des installations existantes. Le nombre de postes de santé intégrés a peu progressé, alors que le nombre de centre de santé n’a pas évolué du tout.

 

Les ressources allouées au budget de la santé dans la loi des finances initiale 2014 de 2,74% alors que l’OMS et la CEDAO recommandent 15% aux gouvernements des pays de la sous-région. Le budget de la santé par rapport au budget national a continuellement a fluctué au-dessous de 3% au cours des dernières années (3,5% en 2009, 2,5% en 2011 et environ 2% en 2012, et 2,5% en 2013 et 2,74% en 2014). Le régime Condé n’a pas inscrit la santé comme une priorité du budget national. De même, pour le secteur de l’éducation nationale, toutes branches confondues, le budget prévu est de l’ordre de 11,67%, inférieur à 30%, standards régionaux et internationaux préconisés par les instances sous régionales et mondiales. Par contre, le régime Condé accorde un budget conséquent pour l’armée et la présidence qui sont pourvus au-dessus de la moyenne régionale.

 

Les Etats Généraux de la santé, tenus du 24 au 25 juin 2014 ont permis de faire un diagnostic du secteur et d’identifier les contraintes majeurs, notamment l’insuffisance du financement du secteur, le manque de personnel et sa concentration de plus de 70% dans la capitale. Ces difficultés expliquent l’insuffisance de la réponse à l’épidémie de la fièvre Ebola, malgré les efforts louables des cadres guinéens sous la direction du Dr. Keita et son équipe ainsi que la Croix rouge et du Croissant rouge, de MSF, et de l’OMS.

 

Contrairement à la santé, les services de la Présidence absorbent une importante du budget national. Le budget national pour 2014, qui fut adopté dans la polémique par le défunt CNT avait alloué à la présidence 366 milliards de FG pour l’année 2014 (l’équivalent de 1 milliard de FG soit près de 150.000 euros ou environ 200.000 $ par jour) accédant ainsi à la demande du Président de l’un des pays les plus démunis du monde d’avoir un budget taillé à la mesure de ses besoins de pérégrinations internationales. Le Secrétaire Général de la Présidence, Kiridi Bangoura, justifie l’augmentation en affirmant : « le constat, c’est un budget qui est en légère progression et c’est un budget qui met en avant les missions constitutionnelles du chef de l’Etat, c’est aussi un budget qui insiste sur la nécessaire décontraction de certains services de la présidence et qui donne toute l’autorisation aux organes personnalisés de compétences nationales comme l’agent judiciaire de l’Etat ». Ce budget gigantesque sans contrôle parlementaire et qui dépend du bon vouloir du Chef de l’Etat encourage des dépenses en voyages inutiles. D’ailleurs des sources font état de tractations de la présidence pour acquérir un avion présidentiel pour faciliter les déplacements du Chef de l’Etat.

 

L’Opposant Sydia Touré proteste contre cette situation en faisant remarquer: « nous sommes dans un pays qui est en train de s’appauvrir. Si la Présidence s’enrichit de jour en jour alors que le pays s’appauvrit de jour en jour, je crois que les guinéens doivent se poser des questions… Les dépenses d’une Présidence de la République sont en rapport avec le revenu du pays, avec le PIB … En ce qui concerne le Budget de la présidence, le montant qu’on a indiqué n’est pas correcte, ce Budget cache énormément de choses. Beaucoup d’argents relatifs au fonctionnement de la Présidence de la République sont cachés dans les Budgets des différents Ministères. 365 milliards GNF, je crois qu’il faut penser à trois fois ce montant pour ce qui a été placé au niveau de la Présidence en Guinée. Ça se situe dans les milles milliards GNF. » Le député Baidy Aribot abonde dans le même sens et ironise : «Tous les jours que Dieu fait du lundi au vendredi, à 11 heures, 1,5 milliard de Francs sortent de la Banque centrale pour alimenter le budget de la présidence de la République…dans un pays pauvre très endetté, où le Guinéen moyen n’a pas de quoi à manger, où l’emploi est en train d’être détruit, Alpha Condé fait croire aux Guinéens que tout est rose en menaçant de publier des résultats d’audits, ou faire semblant d’éradiquer la corruption dans notre pays. Il touche 200 milles euros par jour à chaque voyage ».

 

Mais le gouvernement prétend que le Chef de l’Etat n’utilise pas le budget de l’Etat pour ses voyages présentés pourtant comme officiels. D’après le porte-parole du gouvernement Albert Damantang Camara : « pour la plupart de ces voyages, le président n’utilise pas le budget de l’État. Plutôt, c’est son propre budget ou ses propres relations extérieures qu’il utilise pour voyager ». Autrement dit, le Président dispose de fonds secrets mis à sa disposition par des amis extérieurs pour voyager au compte de la Guinée. Malgré la loi sur l’unicité de caisses, il y a de nombreux comptes encore ouverts au nom d’entités publiques, en dehors du compte unique du Trésor. Ce qui facilite les financements et dépenses opaques. Par exemple lors de la revue du budget, le CNT avait relevé au niveau du ministère de l’agriculture un montant de 100 milliards de FG reversé par la chambre de l’agriculture, mais qui n’apparait nulle part au titre des avances perçues ou remboursées. Le RPG arc-en-ciel dont les démembrements sont les premiers bénéficiaires du financement occulte est le premiers à défendre les voyages, estimant qu’ils « ont permis à la Guinée d’être respectée sur le plan international. » A titre d’exemple, les cadres du RPG citent les conférences d’investissement que le gouvernement a tenu à Abu Dhabi et de la Conférence des ministres des Affaires étrangères d’OIC tenue du 9 au 11 décembre 2013.

 

Deuxième partie: Distraction de l’Etat due à l’obsession politico-affairiste sur les mines.

 

Source: guineenews