Bah Oury: “M. Alpha Condé a eu le pouvoir dans des conditions non-démocratiques, et où les principes de l’Etat de droit ont été complètement sacrifiés”

Le 19 mars, M. Bah Oury, vice-président de l’UFDG, chargé des relations extérieures, nous a fait l’honneur de nous rencontrer. Il a bien voulu répondre à nos questions sur la situation politique, économique et sociale de la Guinée… AfricaLog.com: Vous revenez de la France. Vous étiez avec El Hadj Cellou Dalein Diallo. Toute la crème de l’UFDG en France alors que les débats sur les préparatifs des élections législatives vont bon train…

 

M. Bah Oury : Personnellement ce qui a motivé mon départ de la Guinée le 21 décembre dernier, est que depuis 15 mois je n’avais pas vu mes enfants et mon épouse, ils ont été expulsés après les évènements tragiques du 28 septembre 2009. Pour un père de famille, il était important après une campagne électorale très difficile, de prendre un peu d’air, de retrouver les siens, et puis de prendre du recul. Voilà tout. J’en ai profité pour rencontrer les structures de l’UFDG de France, d’Espagne, du Portugal, de Suisse, Allemagne, Belgique. J’ai aussi rencontré des Guinéens, pas des politiques, mais qui montrent un grand intérêt pour l’évolution positive de leur patrie.

Pour le président de la République, Cellou Dalein, Sidya, d’autres, certains de la CENI ourdissaient un complot contre son régime.

Non ! Je crois qu’il faut qu’on revoie le terme « complot ». Si tous ceux qui sont contre la gouvernance d’Alpha Condé, tout ce qu’ils feront est considéré comme un complot, je crois qu’on retourne aux années 1960 et 70 des complots permanents. Si d’exprimer de manière responsable son opposition, à la gouvernance actuelle, cela est un complot, alors il faut dire qu’aujourd’hui l’écrasante majorité des Guinéens sont en train de comploter contre Alpha Condé.

Quelle lecture faites-vous des Cent jours de la gestion Alpha Condé ?

M. Alpha Condé a eu le pouvoir dans des conditions non-démocratiques, et où les principes de l’Etat de droit ont été complètement sacrifiés. Je l’ai dit ailleurs, nous avons fait notre deuil de cette élection présidentielle. Maintenant on tourne le regard vers le présent et l’avenir. M. Condé agit non pas en chef de l’Etat guinéen, le président de la République de tous les Guinéens, mais comme le chef d’un clan. Il faut que M. Alpha Condé sache que la Guinée d’aujourd’hui n’est plus celle des années 60 et 70, il devrait rassurer la population, être au-dessus de la mêlée, respecter la constitution qui dit que le président de la République est la clé de voûte des institutions, il devrait agir conformément à l’éthique et à la déontologie qu’on attend d’un président de la République, prendre tous les Guinéens, quelle que soit leur sensibilité, quel que soit pour qui ils ont voté, comme des fils et des filles d’un même pays; égaux. Malheureusement, son discours est loin d’être un discours de rassemblement, c’est un discours de division, de haine ethnique.

Il ne rassure pas les investisseurs nationaux, il n’a bénéficié d’aucun état de grâce. L’inflation devient vertigineuse. Et au lieu de rechercher les causes réelles de cette inflation, il est en train de chercher des boucs émissaires dans une communauté ethnique, qu’il confond aux commerçants qu’il accuse de saboter sa gouvernance. Alors qu’en réalité c’est lui même qui est en train de saboter sa gouvernance. Il se dit l’opposant historique, alors que les Guinéens ont lutté, lui la plupart du temps absent, pour le changement démocratique en 2006, 2007, 2008 et 2009. Il faut qu’on mette la balle à terre et qu’il revoie sa propre gestion, ses erreurs durant ces Cent jours. Sans un dialogue politique sincère, on ne sortira pas de la crise actuelle.

L’UFDG compte faire quoi face à tout ça ?

D’abord, il faut se réorganiser. L’UFDG va se réorganiser. L’UFDG va renforcer ses structures, responsabiliser les hommes et les femmes qui se sont battus pour un changement démocratique. Au niveau des forces qui aspirent à un réel changement démocratique il y a nécessité à se retrouver, se concerter pour prendre en charge la problématique de la démocratie guinéenne en danger. Quotidiennement il faut sensibiliser contre la haine ethnique qui est quotidiennement distillée. Alpha Condé exploite les différences ethniques, culturelles pour opposer les Guinéens les uns aux autres. Ils opposent les pauvres qui devraient se donner la main pour améliorer leur sort. Alpha divise pour régner. Pour donner à manger à ses enfants, à les soigner à les mettre à l’école, se loger, il n’y a pas de Soussou, de Peulh, de Malinké, de Forestier. Il faut que ça cesse. Si l’on continue sur cette lancée, on va droit vers l’implosion et l’embrasement de notre pays. Au delà de la politique, c’est une question citoyenne. Les Guinéens ont à se différencier par leurs idées, pas par leurs ethnie ou région.

Mais les Condéistes disent que l’UFDG est un parti ethnique, d’une « mafia d’opérateurs économiques ».

Lorsque j’entends ça, je suis triste surtout pour Alpha Condé. Car celui-ci connaît très bien l’UFDG. L’UFDG et le RPG ont cheminé ensemble pendant un bon bout de temps, du temps où l’UFDG avait eu comme président le Doyen Bâ Mamadou (Paix à son âme). Alpha Condé devrait choisir les mots pour s’attaquer au parti du Doyen Bâ Mamadou. Qui s’est battu corps et âme pour que Alpha Condé soit libérer.

L’image de Tidiane Traoré au stade du 28 septembre qui a frôlé une balle dans la tête me reste en mémoire. C’est pour cela je ne confonds pas Alpha Condé au RPG. Je connais des hommes et des femmes de valeur, des responsables aguerris, des démocrates dans les rangs du RPG. Ceux-ci devraient recadrer le président Alpha Condé, lui dire de modérer son langage, ne pas oublier d’où il vient, ses compagnons de lutte. Mais j’ai peur pour lui, il est en train de se fourvoyer.
Du côté du RPG, on répète: Bah Oury met le feu aux poudres, radicalisé les Guinéens contre le RPG…

Depuis l’âge de 20 ans, je milite activement en politique, et je lutte contre la dictature, les dictatures. On s’est battu, au niveau de l’OGDH, au niveau de l’UFDG pour la libération des responsables du RPG. Je ne puis considérer ces attaques, qui sont purement des attaques politiciennes. Lorsque mes adversaires m’insultent, je les remercie, pour la considération qu’ils ont pour moi. Cela me conforte dans ma position. Profondément démocrate, je n’ai jamais été marqué par une attitude ethnocentrique, ni hier, ni aujourd’hui. Ce ne sont pas ces mensonges malveillants que je pendrais au sérieux. Ah, ça, non! Des hommes et des femmes de ce pays me connaissent assez bien maintenant.

Le RPG et ses alliés de l’Arc-en-ciel se moquent que l’UFDG n’est pas mûr en politique, votre parti est naïf, et que le RPG ne pouvait que gagner.

Pour nous, c’est d’un débat démocratique qu’il est question lorsqu’on va à des élections. Nous n’étions pas des partis en guerre, contrairement à l’Arc-en-ciel. Le candidat El Hadj Cellou et nous prônait la paix, le rassemblement, l’unité du pays, un avenir meilleur. Eux, ils ont préparé la guerre, la fraude. Mais à mentir trop, on se noie soi-même. Ils ont suffisamment menti et aujourd’hui leur gouvernance bat de l’aile. Où est le sac de riz à 20 000 francs guinéens ? ce sac de riz est au bas mot à 200 000 FG. Où est l’Etat de droit ? c’est le viol de la Constitution et des principes fondateurs de la République. Où sont la sécurité, l’équilibre ethnique ? chaque Guinéen se sent-il comme un citoyen à part entière ? Ce sont des mensonges. Ils ont menti à la population guinéenne pour arracher un pouvoir et aujourd’hui, ils se heurtent à la contrainte de la gestion, le mensonge les a rattrapés. Notre vérité, on s’y tient, et on se battra, toujours, dans le respect le plus stricte des principes cardinaux de la démocratie, dans la vision unitaire de l’ensemble du peuple.

Alpha Condé dit qu’il n’organisera pas les législatives pour les perdre, car il a les préfets, les gouverneurs, les sous-préfets, pour lui. Et que les gens qui croient autre chose sont des fous. Vous dites quoi?

Ce que je peux dire par rapport à ça, c’est que le monde évolue, le monde change. Je rappelle que le Président Mubarack, au mois de novembre dernier, a organisé des élections législatives, il a obtenu 95%. Moins de deux mois après, les Egyptiens l’ont chassé. Parce que les institutions qu’il avait mises en place n’avaient aucune légitimité. Aucun pouvoir, quel qu’il soit, ne peut se stabiliser dans la République de Guinée s’il ne s’appuie pas sur des institutions légitimes et acceptées par tout le peuple. Si les gens croient pouvoir tricher, imposer la dictature, ils seraient bien avisés de relire l’histoire récente de notre pays qui a montré que les Guinéens sont capables de se lever lorsque leurs droits sont en danger.

La nomination de M. Mohamed Saïd Fofana comme Premier ministre ne semble pas améliorer la situation?

Il est de la liberté du Président de la République, de par la Constitution guinéenne, de choisir l’homme ou la femme qu’il estime pouvoir être son Premier ministre. Je pense que le choix actuel, est bien pensé, il reflète la volonté et la vision du Pr Alpha condé ou de M. Alpha Condé. Je me dis qu’il assume son choix en nommant certaines personnes à des postes clés de l’Etat. Personnellement, je n’aime pas entrer dans les détails. Malheureusement, par rapport à ces questions fondamentales de nomination de cadres à des postes clés de l’Etat, il y a beaucoup plus que ce que nous avons dénoncé par le passé, le népotisme, les réseaux clientélistes, la volonté délibérée d’opposer les Guinéens les uns aux autres, en sorte de faire de certains plus citoyens que d’autres.

Cellou Dalein Diallo aurait-il peur de rentrer en Guinée?

Non! El Hadj Cellou n’a pas peur de rentrer en Guinée. Il a un agenda chargé. Il fait le tour de certaines capitales, pour rencontrer des chefs de l’Etat, pour les remercier du soutien qu’ils lui ont accordé au moment de ces élections présidentielles. Cela lui permet également de rencontrer d’autres Guinéens ou étrangers pour envisager l’avenir de notre pays. Je pense qu’il n’est pas interdit à un responsable politique de voyager, de s’instruire, le voyage ça instruit. M. Alpha Condé était beaucoup plus à l’étranger qu’en Guinée. El Hadj Cellou n’a aucunement peur d’être là. Lorsqu’il aura épuisé son agenda , il rentrera en Guinée, comme n’importe quel citoyen de ce pays.

Le ministre de l’Administration du Territoire a promis les législatives pour le dernier trimestre de l’année 2011. Ça vous dit?

Vous savez, lorsqu’on veut tripatouiller les élections, lorsqu’on veut remettre en cause le recensement, qui a duré deux ans, qui a mobilisé des ressources importantes de la communauté internationale et de nos maigres ressources pour qu’on puisse avoir un recensement qui tient la route avec des cartes biométriques… Grâce à un dialogue politique du vivant de Général Lansana Conté, ce recensement nous a permis d’avoir le fichier électoral actuel. Il n’est pas du tout acceptable que le Gouvernement actuel, sous un prétexte qu’il est au pouvoir, remette en cause tant d’années de lutte, pour obtenir ce fichier électoral. Mais ils ont la volonté de tripatouiller les élections, et non pas des intentions démocratiques, ils veulent changer tout, changer sur mesure. Je leur dit, tout ça, c’est peine perdue, le peuple de Guinée n’acceptera pas des élections bâclées. On peut tricher, imposer des hommes par-ci, par-là, mais le Tsunami du changement démocratique balayera ça en un laps de temps. Cette leçon de l’histoire, M. Condé doit la retenir, à moins de vouloir que la Guinée ne sorte pas de la fatalité despotique que nous traînons depuis 52 ans maintenant.

L’UFDG a dénoncé la révocation par le Président d’élus des communes de Kaloum, Dixinn et Ratoma.

Il y a une volonté du pouvoir actuel d’imposer la dictature. Un pouvoir qui est sourd risque de se réveiller un jour dans une mauvaise situation. La volonté démocratique du peuple de Guinée n’est pas éteinte, au contraire. C’est comme ça sous le régime du Général Lansana Conté, ils n’ont pas entendu les doléances, les revendications des populations, cela avait amené les populations dans la rue. S’ils font la sourde oreille, sûr que les populations guinéennes ne se laisseront plus faire. C’est clair, ils veulent manipuler les élections, ils veulent tout détruire, mettre des hommes qui leur sont acquis à tous les niveaux pour que les élections ne soient pas transparentes et crédibles, mais un simulacre d’élections. Cela explique la révocation des conseillers communaux des Communes où le RPG n’est pas majoritaire, et ça va continuer, il y aura d’autres cas à l’intérieur du pays. Ce sont des décisions antidémocratiques, anticonstitutionnelles. La communauté nationale, la communauté internationale voient avec inquiétude. Cette mauvaise direction dans laquelle la gouvernance d’Alpha Condé mène.

On murmure la réorganisation de votre parti, d’autres parlent d’Etats généraux de l’UFDG, on dit que le Président de l’UFDG est trop souple, devrait changer de style.

L’UFDG est une institution. Nous avons traversé des périodes extrêmement difficiles. Nous devons tirer le bilan de ces trois années d’épreuves politiques terribles où nous avons eu des centaines de morts. Les femmes, les filles qui ont été violées sont innombrables, il y a eu des destructions des biens de nos responsables et militants, de nombreuses familles sont été disloquées. On nous a volé les élections. Il faut un bilan, qu’on cerne nos faiblesses, qu’on puisse rectifier le tir, pour que l’UFDG demeure la force qui fera entrer la Guinée dans la démocratie. Donc, il faut qu’on fasse le diagnostic sans complaisance, il y va de l’intérêt de l’UFDG, à notre patrie.

Entretien réalisé par Mamadou Siré Diallo